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Mise en ligne : 21 mars 2005

Discussion générale du projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école.
Intervention de D. Voynet au sénat le 15 mars 2005

Quand un peuple doute de son école et quand ses enfants n’y sont pas tous à l’aise, le risque de désordre est puissant pour toute la société.


Monsieur le Ministre, Mesdames Messieurs,

Quand un peuple doute de son école et quand ses enfants n’y sont pas tous à l’aise, le risque de désordre est puissant pour toute la société. Eh bien regardons les choses en face : nous sommes dans l’un de ces moments critiques de notre histoire où la jeunesse, nous signale à nouveau à propos de l’école un grand problème. Notre responsabilité est de l’entendre d’urgence : non par « jeunisme » ou par opportunisme politique mais parce se jouent là des choses fortes pour notre avenir commun. Ce malaise, les spécialistes et les évaluateurs, rapports après rapports, en ont pointé les symptômes en terme d’échec, de crise ou de retrait. Alors même qu’elle était en passe d’atteindre les objectifs quantitatifs que lui avait assignés la société française des années 60, l’école a été secouée par la restructuration profonde de notre modèle de vivre ensemble. Elle a été ébranlée par la crise des modèles anciens d’intégration sociale issus chez nous à la fois de la société industrielle et de la période d’après guerre. Elle a du coup très largement cessé de fabriquer de l’égalité et de la cohésion pour devenir peut être en elle-même un facteur d’aggravation des inégalités. Plutôt que de la fraternité ou du mérite, elle est devenue l’incarnation de la compétition, la survie et du chacun pour soi. Au lieu de liberté et d’enthousiasme pour le savoir, elle s’est mise à produire la peur de « ne pas y parvenir ». Qui plus est, en dehors des moments de liberté pédagogique trop rarement arrachés à la dictature des fameux programmes, on s’ennuie trop souvent en classe. On apprend sans comprendre ou parce qu’on comprend qu’il ne faut pas se poser de questions. On tente d’empiler des savoirs parfois contradictoires sans en saisir les enjeux. On accepte l’autorité parce qu’elle oriente et parce qu’elle sanctionne. Apprendre personnellement à apprendre, n’est d’ailleurs pas officiellement un moment d’enseignement, pas plus que la capacité à coopérer, à résoudre des conflits ou à faire du travail d’équipe. Et quand cela existe, sous d’étranges prétextes budgétaires, on envisage de le supprimer. Evidemment, des milliers de nos jeunes décrochent ou n’acceptent pas cette parodie d’éducation : ils se retirent du système ou sont écartés du jeu, ils viennent gonfler la statistique des « perdus pour l’école » et compte tenu de la place d’ailleurs excessive qu’occupe la formation initiale dans notre hiérarchie sociale, ils viendront quelques années plus tard gonfler celles des exclus et des parias du travail. Des milliers d’autres, mal orientés tâtonnent, multiplient les allers retours et les demi-échecs, le désolant tir au pigeon des deux premières années de l’université étant particulièrement édifiant à cet égard. Bref, les ordres contradictoires auxquels nous l’avons soumise, la difficulté que nous avons rencontrée à en redéfinir les missions, la crise de nos propres valeurs, ont transformé l’école française en bateau sans pilote ni boussole, conduit non plus vers un cap mais par l’habitude ou la seule logique budgétaire, autrement dit par le propre poids de l’institution. Le résultat est que la performance de notre système et la productivité de notre dépense nationale pour l’école ont sans doute reculé en Europe, que la sélection sociale scolaire est repartie à la hausse. Chacun donc essaie donc de se frayer une voie en contournant le système. Dérogations diverses et cours particulier sont devenus un sport national français Pendant ce temps, les plus fragiles cumulent les facteurs d’échec et de prise de retard. Au moment où je prononce ces mots, je m’aperçois d’ailleurs qu’ils pourraient s’appliquer à notre système de santé. Comme l’hôpital, à côté de ses secteurs hyper performants, l’école n’est parvenue ici ou là à maintenir ses acquis et à cacher sa misère montante que grâce au dévouement de ses centaines de milliers d’agents : ils ont compensé l’empilement des consignes et l’inertie de leur hiérarchie face aux mutations, par de l’énergie, du dévouement, parfois de la débrouille et surtout par beaucoup d’inventivité. Un de nos gros problèmes, monsieur le Ministre, est que cette poussée d’innovation n’est jamais valorisée, ni reprise, ni intégrée à la réflexion de tout le système.

Dans cette situation et dans ces circonstances, ce que nos concitoyens attendent légitimement de la politique, ce n’est pas qu’elle se défausse ,c’est qu’elle indique des lignes, qu’elle redonne du sens et qu’elle propose des priorités . Hélas, Monsieur le Ministre, vous n’avez rien pu, su ou voulu produire de tel et nous allons discuter pendant ces quelques jours d’une réforme qui n’en est pas une Comme l’a dit de façon cruelle un observateur, il n’y a dans votre texte, ni foi ni loi. Pas de foi parce vous n’amorcez aucun tournant fort, aucun changement courageux de direction. Votre projet ne provoque d’ailleurs aucun débat intellectuel, il laisse atterré et sans voix ceux qui consacrent un peu de passion à ce sujet. Pas de loi, parce que vous êtes probablement convaincu que le système est irréformable en raison de ses blocages supposés, et donc en politique averti qui applique une consigne présidentielle, vous avez choisi de faire « comme si ». Je passe sur les ficelles les plus grosses, les milliards qui s’ajoutent aux milliards, les chiffres qui tombent pile et les colonnes qui s’équilibrent sur le papier : c’est un genre que pratique ce gouvernement avec une rouerie particulière. Mais dans un secteur où l’on a supprimé des dizaines de milliers de postes, ça se voit davantage. Je passe sur les instillations revanchardes et insidieuses. Des retours en arrière pourront ainsi faire sourire, ils sentent l’encre violette comme la Marseillaise dans le primaire, la note de conduite au brevet, les bourses d’excellence pour les pauvres méritants à moins que ce ne soit pour les méritants pauvres ainsi que la référence aux méthodes d’apprentissage de la lecture, qui je cite, « ont prouvé leur efficacité ». D’autres mesures sont nettement plus douteuses comme l’obligation sans garde fou de remplacement au pied levé des absences, et le rétablissement du redoublement sans appel possible alors que nous sommes déjà vice champion d’Europe en matière de taux de redoublement juste après le Portugal je crois. D’autres encore sont fort alambiquées comme la façon dont on traite la question de la bivalence au détour d’une phrase sur la certification complémentaire. D’autres flirtent un peu hypocritement avec le rétablissement des filières dès la troisième. D’autres enfin sont complètement brutales comme désintégration programmée sans fleurs ni couronnes des IUFM qui ne méritaient pas un tel sort. Mais ce qui est accablant, c’est de voir qu’au bout des 99 pages du document, vous n’avez pas voulu aborder les questions de fond. Vos supporters et vos conseillers s’agiteront sur leur chaise en criant « socle commun, socle commun ! » Mais faut il vraiment sortir de l’ENA pour dire, 112 années après la mort de Jules Ferry,que le but de l’Ecole est de permettre à tous de savoir lire, écrire, compter, jargonner en anglais, lire un journal et utiliser une souris d’ordinateur ? Vous me répondrez encore « programme personnalisé, programme personnalisé ! » Mais faut il avoir enseigné pour le savoir ? On peut bien signer tous les contrats et tous les programmes qu’on veut, le dit programme ou le dit contrat ne seront que des marqueurs stigmatisants de plus si on ne se pose pas la question des méthodes éducatives, des formes pédagogiques, et excusez la pédanterie, des processus cognitifs qui sont à l’œuvre chez tous les élèves. Ce que le pays aurait voulu voir débattre, c’est cet ensemble d’indications pourtant largement mises en exergue dans la consultation organisée par votre malheureux prédécesseur et dont le rapport de conclusion est désormais soumis dans vos tiroirs à la rongeuse critique des souris.

- Le redécoupage des matières et des savoirs pour tenir compte de l’évolution de la connaissance depuis 25 ans et pour donner cohérence à nos enseignements.

- L’organisation des classes et divisions, les rythmes et les temps scolaires pour progresser par cycle en tenant compte des aptitudes d’apprentissage et non plus par simples découpages annuels.

- La pratique du travail personnel et l’acquisition des méthodes, c’est-à-dire le partage des tâches entre enseignants et les autres acteurs de production d « éducation dans et en dehors de l’école. Les politiques territoriales d’éducation.

- Les discriminations positives, autrement dit le traitement différencié selon qu’on parle des grands lycées de centre villes ou des collèges de banlieue.

- Les mécanismes d’orientation professionnelle pour les plus fragiles autres que des stages qui valident des échecs et la connaissance des métiers du futur pour tous.

- Le sens à donner au métier d’enseignant et la recomposition des profondeurs de carrière avec des aller et retour vers la recherche et d’autres domaines professionnels.

- L’usage des nouvelles technologies non pas comme gadget mais comme dispositifs d’appropriation personnelle des connaissances. Et pour finir et presque surtout, comment gouverner l’Ecole ? Vous avez sacrifié au rite de la forcément très haute Autorité tellement indépendante qu’elle sera désignée politiquement, et qu’elle sera à la fois juge et partie de ses propres attributions. L’idée même de démocratie scolaire ou de « parlement de l’Ecole » vous terrifie sans doute L’hypothèse d’un dispositif national et de dispositifs régionaux de co-pilotage associant enseignants, parents et professionnels de l’Education, capable d’examiner les conditions concrètes de respect des programmes nationaux dans le cadre de procédures décentralisées, est sans doute un cauchemar pour vous. Tout comme une réforme du rôle des chefs d’établissement, un renforcement de la représentation des élèves et une refonte des inspections.

Monsieur le Ministre, Je prends donc acte que vous avez décidé d’être prudent et de ne rien troubler. Je me désole du fait que vous ayez fait le service minimum en vous contentant de donner quelques signaux à la partie la plus anti-soixante huitarde de votre électorat. Je me désole que vous n’ayez pas essayé de mobiliser les ressources du changement que sont par exemple la montée de nouvelles générations de profs, la qualité de nos recherches en sciences de l’éducation, la disponibilité des parents et des élèves. Mais nous n’avons ni les mêmes contraintes ni les mêmes points de repère. Vous comprendrez donc, que nous vous demandions de retirer votre texte et que nous ne puissions évidemment en accepter ni la lettre ni l’absence d’esprit. Je vous remercie.

Dominique Voynet

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