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1er février 2006

Paul Destribats, flibustier de l’avant-garde.

il ne voulait pas. Nous avions déjà tenté l’aventure, mais l’injonction était tombée, sans appel : "Pas de portrait, n’est-ce pas ?" Paul Destribats ne souhaite pas apparaître, ni se montrer.
Pourtant, il va faire du Centre Pompidou l’institution la plus riche du monde pour sa collection de périodiques. Par deux fois, des musées américains lui ont offert de l’acheter. La dernière proposition : 5 millions de dollars ! "Cela ne me plaisait pas de la voir partir aux Etats-Unis…", dit-il. Beaubourg a eu plus de chance. "C’est à 500 mètres de chez moi", sourit-il en regardant par sa fenêtre couler la Seine, tout en vérifiant qu’un contractuel n’a pas la velléité de coller un papillon au pare-brise de son automobile.

A quelques mois de son quatre-vingtième anniversaire, l’homme jouit d’une honnête aisance, qui lui permet de sacrifier à son goût des voitures rapides. Une revanche, sans doute, sur son premier moyen de transport, la bicyclette. C’est en effet à vélo, tout son viatique tenant dans deux sacoches, que le jeune provincial est venu de Vendôme (Loir-et-Cher) à Paris un beau jour de 1944, vers le 30 août : "Ça tirait encore à la mitraillette du côté de la Préfecture…"

Il aime l’action, et d’abord l’action politique. En 1947, il est permanent au Parti communiste internationaliste (PCI), "section française de la IVe internationale", précise-t-il. Le jeune trotskiste, initié aux textes de Victor Serge par deux réfractaires au Service du travail obligatoire, rencontrés à Vendôme, estime nécessaire de se préparer à la lutte armée et, pour ce faire, décide d’effectuer son service militaire. Ce sera chez les parachutistes, où, entre les sauts réglementaires, il apprend à piloter un planeur. A sa libération, les rangs du PCI étaient plutôt clairsemés après qu’une scission eut fait passer ses effectifs, estimés à un millier au début de 1948, à moins de la moitié : "Je me suis dit qu’on aurait du mal à faire la révolution et je suis parti."

Il rencontre alors un courtier en pierres précieuses, qui recherche un convoyeur. L’idée lui plaît, et le conduit un peu partout dans le monde, d’Amérique du Sud à Anvers, de Paris à New York. Paul Destribats reste discret sur ce curieux métier, se bornant à préciser que des raisons de sécurité l’obligeaient souvent à cacher ses cailloux dans des endroits fort peu usités. Les jolies dames qui exhibent aujourd’hui un bijou transporté jadis par ses soins préféreront sans doute ignorer par quelles cachettes il est passé.

Plus d’un demi-siècle plus tard, l’homme conserve toujours un sourire de flibustier quand il évoque les émeraudes de ses vertes années. Ses déambulations lui font aussi découvrir le Brésil, un pays pour lequel il éprouve une véritable passion. Au point d’y ouvrir un club qui devient un des temples de la nuit à Rio. Il y rencontre, entre autres, une légende de la musique populaire brésilienne, un des inspirateurs de la bossa-nova, Dorival Caymmi. "Je me souviens d’un soir de novembre 1955. Il s’est assis au bar, et a commencé à me jouer une chanson qu’il venait d’écrire. C’était Maracangalia." Caymmi devient un des piliers de sa boîte de nuit que hantent aussi les jeunes musiciens de la bossa-nova, les poètes et les peintres brésiliens. Cinquante ans après, les deux hommes sont toujours amis.

Au début des années 1960, Paul Destribats revient à Paris. Il a un peu d’argent, s’intéresse à la peinture, mais comprend que ses économies ne lui permettent pas d’acheter le Picasso, le Braque ou le Léger de ses rêves. Il collectionne donc les oeuvres des copains, ceux qui hantent les bistrots de Saint-Germain-des-Prés. Mais il cherche à comprendre cette nouvelle peinture qui fleurit autour de lui.

Là aussi, il faut peut-être revenir aux jeunes années. "En 1943, j’étais interne dans un collège de curés. J’avais un condisciple qui était le fils d’Emile Malespine le créateur de la revue Manomètre. Il m’a prêté la Petite anthologie du surréalisme de Georges Hugnet. Après, il me sort Lautréamont. Imaginez les dégâts…"

Et surtout chez les bons pères, où il ne reste guère. Son équipée à Paris le conduit rue Grégoire-de-Tours, puis au lycée Carnot, où il avait décidé de passer son deuxième bachot. "Parce que c’était là qu’enseignait Merleau-Ponty. Malheureusement, il était parti, et je suis tombé sur un vieux con qui m’a fait haïr la philosophie jusqu’à aujourd’hui."

Mais, avec une bande de copains, il découvre la librairie Brentano’s. "On volait les numéros du Surréalisme et la peinture. Le pire, c’est quand ils ont reçu d’Amérique des exemplaires d’Arcane 17…" Aujourd’hui, il en possède un exemplaire de l’édition originale, qui a appartenu à André Breton lui-même. "Celui-là, je ne l’ai pas volé. Il m’a même coûté très cher." Mais, pour Breton, il n’est rien qu’il ne puisse faire. "Breton, c’est l’axe du XXe siècle. L’expression absolue de la valeur et de l’honneur de l’être humain."

Passé l’aventure brésilienne, il est devenu courtier en Bourse chez un broker américain. "J’étais très ami avec Arthur Cohen, le grand marchand new-yorkais. On se chamaillait sans arrêt, mais il a été un peu mon professeur."

Longtemps, il reste discret. Il prête volontiers aux institutions, mais sous le couvert de l’anonymat. Les premiers à le faire sortir de l’ombre sont Jean-Louis Prat, pour L’Art en mouvement à Saint-Paul-de-Vence, et Werner Spies, organisateur au Centre Pompidou de l’exposition sur le surréalisme. "Je lui ai prêté 90 documents. Pour la dernière exposition du Centre, celle de Dada, 235 venaient de chez moi."

Sa collection est constituée de trois grands groupes : les livres ; des dossiers contenant ce qu’il nomme ses éphémérides, dans lesquels il classe chronologiquement tracts, manifestes ou cartons d’invitation ; et les revues, des titres publiés de 1850 à 1980, partout dans le monde, et liés à l’art et à la poésie. C’est cette dernière partie, rangée sur 55 mètres de rayonnages, qu’il cède à Beaubourg, pour 3,8 millions d’euros, payés au titre de la loi sur le mécénat par le groupe Lagardère.

Pour le conservateur rapporteur de la transaction, cet ensemble mérite le titre de "trésor national". Il complète de surcroît le fonds de la bibliothèque Kandinsky du Musée national d’art moderne. Paul Destribats se concentrera désormais sur ses livres et ses éphémérides. Et, montrant une feuille rare où Breton figure, photographié par Man Ray, il lâche : "Cela m’émeut…"


Parcours :

1926
Naissance à Vendôme (Loir-et-Cher).

1969
Commence à constituer sa bibliothèque.

1994
Complète sa collection de la rarissime revue hongroise Ma, commencée en 1975. C’est la seule série complète avec celle de la Bibliothèque nationale de Budapest.

2005
Signature avec le Centre Pompidou, le 19 décembre, du contrat de cession de sa collection de périodiques.

Article paru dans l’édition du 02.02.06


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